Le devoir et l’intérêt
Un jour, un célèbre homme
d’Etat d’Angleterre, un ministre, apprit une nouvelle politique qui
devait faire subir aux fonds publics une baisse considérable. Quelques
minutes après, son père entre ; ce dernier lui annonce qu’il est engagé
dans une grande spéculation à la hausse, qu’une partie notable de leur
fortune y est engagée, et que, s’effrayant de quelques bruits qui
circulent, il vient demander à son fils ce qu’il en est, afin de vendre,
si ces bruits sont fondés :
«Qu’est-ce que son fils doit lui répondre ?
Réfléchis bien ! D’abord cette nouvelle
est un secret, un secret qu’il ne possède que comme ministre, un secret
qu’il a certainement juré de garder. Le révéler, c’est manquer à sa foi
d’homme d’Etat, c’est trahir la chose publique pour un intérêt privé.
- Si son père vend, il y a
quelqu’un qui achètera ; ce quelqu’un recevra donc des valeurs que le
père savait être mauvaises, puisqu’il ne les vend que sur l’avis
qu’elles vont baisser : il trompe donc sciemment ; or, tromper
sciemment, c’est ce que la loi appelle voler. Ce ministre, cet homme
d’Etat, en avertissant son père, aurait dont été le complice, l’auteur
de ce vol.
L’enfant resta silencieux un moment, puis il dit :
«C’est beau !
- Non, ce n’est que bien ; mais c’est si rare que cela devient sublime !.»
Ernest Legouvé (1807 - 1903)
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