samedi 30 janvier 2021

L'éducation (A. Vessiot)

 






L’homme ne nait ni bon ni mauvais ; il naît avec le pouvoir de devenir l’un ou l’autre. Il apporte, en naissant, des instincts contraires, les uns compatibles, les autres incompatibles avec l’existence de la société ; il a en lui, dans son essence, les germes de tous les vices comme de toutes les vertus, de toutes les qualités et de tous les défauts. Doué de raison et de volonté, il discerne de bonne heure quels sont, parmi les instincts qui le poussent, ceux qu’il doit combattre, et parmi ces germes, ceux qu’il doit développer. L’éducation n’est pas autre chose que le secours éclairé, affectueux, assidu, apporté à  l’enfant dans la lutte qu’il engage de bonne heure contre ses mauvais penchants pour assurer le triomphe des autres.

… On est effrayé en songeant jusqu’où l’homme peut descendre, on est ravi en voyant jusqu’où il peut monter. Aussi comprend-on sans peine avec quelle inquiétude émue un père se penche sur le berceau de son nouveau-né, cherchant à lire dans ces traits encore incertains le redoutable mystère d’une vie qui peut être si belle ou si affreuse.

En cet enfant qu’il contemple dort en germe l’honneur ou la honte d’une famille, sa joie ou son désespoir.


A. Vessiot

« On nous dit ! »


 

jeudi 28 janvier 2021

Alexandre Soljénitsyne - Le Déclin du courage - Harvard, 8 juin 1978


"Je suis très sincèrement heureux de me trouver ici parmi vous, à l’occasion du 327ème anniversaire de la fondation de cette université si ancienne et si illustre. La devise de Harvard est « VERITAS ». La vérité est rarement douce à entendre ; elle est presque toujours amère. Mon discours d’aujourd’hui contient une part de vérité ; je vous l’apporte en ami, non en adversaire.

Il y a trois ans, aux Etats-Unis, j’ai été amené à dire des choses que l’on a rejeté, qui ont paru inacceptables. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui acquiescent à mes propos d’alors…

Le déclin du courage est peut-être le trait le plus saillant de l’Ouest aujourd’hui pour un observateur extérieur. Le monde occidental a perdu son courage civique, à la fois dans son ensemble et singulièrement, dans chaque pays, dans chaque gouvernement, dans chaque pays, et bien sûr, aux Nations Unies. Ce déclin du courage est particulièrement sensible dans la couche dirigeante et dans la couche intellectuelle dominante, d’où l’impression que le courage a déserté la société toute entière. Bien sûr, il y a encore beaucoup de courage individuel mais ce ne sont pas ces gens là qui donnent sa direction à la vie de la société. Les fonctionnaires politiques et intellectuels manifestent ce déclin, cette faiblesse, cette irrésolution dans leurs actes, leurs discours et plus encore, dans les considérations théoriques qu’ils fournissent complaisamment pour prouver que cette manière d’agir, qui fonde la politique d’un Etat sur la lâcheté et la servilité, est pragmatique, rationnelle et justifiée, à quelque hauteur intellectuelle et même morale qu’on se place. Ce déclin du courage, qui semble aller ici ou là jusqu’à la perte de toute trace de virilité, se trouve souligné avec une ironie toute particulière dans les cas où les mêmes fonctionnaires sont pris d’un accès subit de vaillance et d’intransigeance, à l’égard de gouvernements sans force, de pays faibles que personne ne soutient ou de courants condamnés par tous et manifestement incapables de rendre un seul coup. Alors que leurs langues sèchent et que leurs mains se paralysent face aux gouvernements puissants et aux forces menaçantes, face aux agresseurs et à l’Internationale de la terreur. Faut-il rappeler que le déclin du courage a toujours été considéré comme le signe avant coureur de la fin ?

Quand les Etats occidentaux modernes se sont formés, fut posé comme principe que les gouvernements avaient pour vocation de servir l’homme, et que la vie de l’homme était orientée vers la liberté et la recherche du bonheur (en témoigne la déclaration américaine d’Indépendance.)Aujourd’hui, enfin, les décennies passées de progrès social et technique ont permis la réalisation de ces aspirations : un Etat assurant le bien-être général. Chaque citoyen s’est vu accorder la liberté tant désirée, et des biens matériels en quantité et en qualité propres à lui procurer, en théorie, un bonheur complet, mais un bonheur au sens appauvri du mot, tel qu’il a cours depuis ces mêmes décennies.

Au cours de cette évolution, cependant, un détail psychologique a été négligé : le désir permanent de posséder toujours plus et d’avoir une vie meilleure, et la lutte en ce sens, ont imprimé sur de nombreux visages à l’Ouest les marques de l’inquiétude et même de la dépression, bien qu’il soit courant de cacher soigneusement de tels sentiments. Cette compétition active et intense finit par dominer toute pensée humaine et n’ouvre pas le moins du monde la voie à la liberté du développement spirituel.

L’indépendance de l’individu à l’égard de nombreuses formes de pression étatique a été garantie ; la majorité des gens ont bénéficié du bien-être, à un niveau que leurs pères et leurs grands-pères n’auraient même pas imaginé ; il est devenu possible d’élever les jeunes gens selon ces idéaux, de les préparer et de les appeler à l’épanouissement physique, au bonheur, au loisir, à la possession de biens matériels, l’argent, les loisirs, vers une liberté quasi illimitée dans le choix des plaisirs. Pourquoi devrions-nous renoncer à tout cela ? Au nom de quoi devrait-on risquer sa précieuse existence pour défendre le bien commun, et tout spécialement dans le cas douteux où la sécurité de la nation aurait à être défendue dans un pays lointain ?

Même la biologie nous enseigne qu’un haut degré de confort n’est pas bon pour l’organisme. Aujourd’hui, le confort de la vie de la société occidentale commence à ôter son masque pernicieux.

La société occidentale s’est choisie l’organisation la plus appropriée à ses fins, une organisation que j’appellerais légaliste. Les limites des droits de l’homme et de ce qui est bon sont fixées par un système de lois ; ces limites sont très lâches. Les hommes à l’Ouest ont acquis une habileté considérable pour utiliser, interpréter et manipuler la loi, bien que paradoxalement les lois tendent à devenir bien trop compliquées à comprendre pour une personne moyenne sans l’aide d’un expert. Tout conflit est résolu par le recours à la lettre de la loi, qui est considérée comme le fin mot de tout. Si quelqu’un se place du point de vue légal, plus rien ne peut lui être opposé ; nul ne lui rappellera que cela pourrait n’en être pas moins illégitime. Impensable de parler de contrainte ou de renonciation à ces droits, ni de demander de sacrifice ou de geste désintéressé : cela paraîtrait absurde. On n’entend pour ainsi dire jamais parler de retenue volontaire : chacun lutte pour étendre ses droits jusqu’aux extrêmes limites des cadres légaux.

J’ai vécu toute ma vie sous un régime communiste, et je peux vous dire qu’une société sans référent légal objectif est particulièrement terrible. Mais une société basée sur la lettre de la loi, et n’allant pas plus loin, échoue à déployer à son avantage le large champ des possibilités humaines. La lettre de la loi est trop froide et formelle pour avoir une influence bénéfique sur la société. Quand la vie est tout entière tissée de relations légalistes, il s’en dégage une atmosphère de médiocrité spirituelle qui paralyse les élans les plus nobles de l’homme.

Et il sera tout simplement impossible de relever les défis de notre siècle menaçant armés des seules armes d’une structure sociale légaliste.

Aujourd’hui la société occidentale nous révèle qu’il règne une inégalité entre la liberté d’accomplir de bonnes actions et la liberté d’en accomplir de mauvaises. Un homme d’Etat qui veut accomplir quelque chose d’éminemment constructif pour son pays doit agir avec beaucoup de précautions, avec timidité pourrait-on dire. Des milliers de critiques hâtives et irresponsables le heurtent de plein fouet à chaque instant. Il se trouve constamment exposé aux traits du Parlement, de la presse. Il doit justifier pas à pas ses décisions, comme étant bien fondées et absolument sans défauts. Et un homme exceptionnel, de grande valeur, qui aurait en tête des projets inhabituels et inattendus, n’a aucune chance de s’imposer : d’emblée on lui tendra mille pièges. De ce fait, la médiocrité triomphe sous le masque des limitations démocratiques.

Il est aisé en tout lieu de saper le pouvoir administratif, et il a en fait été considérablement amoindri dans tous les pays occidentaux. La défense des droits individuels a pris de telles proportions que la société en tant que telle est désormais sans défense contre les initiatives de quelques-uns. Il est temps, à l’Ouest, de défendre non pas temps les droits de l’homme que ses devoirs.

D’un autre côté, une liberté destructrice et irresponsable s’est vue accorder un espace sans limite. Il s’avère que la société n’a plus que des défenses infimes à opposer à l’abîme de la décadence humaine, par exemple en ce qui concerne le mauvais usage de la liberté en matière de violence morale faites aux enfants, par des films tout pleins de pornographie, de crime, d’horreur. On considère que tout cela fait partie de la liberté, et peut être contrebalancé, en théorie, par le droit qu’ont ces mêmes enfants de ne pas regarder er de refuser ces spectacles. L’organisation légaliste de la vie a prouvé ainsi son incapacité à se défendre contre la corrosion du mal.

L’évolution s’est faite progressivement, mais il semble qu’elle ait eu pour point de départ la bienveillante conception humaniste selon laquelle l’homme, maître du monde, ne porte en lui aucun germe de mal, et tout ce que notre existence offre de vicié est simplement le fruit de systèmes sociaux erronés qu’il importe d’amender. Et pourtant, il est bien étrange de voir que le crime n’a pas disparu à l’Ouest, alors même que les meilleurs conditions de vie sociale semblent avoir été atteintes. Le crime est même bien plus présent que dans la société soviétique, misérable et sans loi.

La presse, aussi, bien sûr, jouit de la plus grande liberté. Mais pour quel usage ? (…) Quelle responsabilité s’exerce sur le journaliste, ou sur un journal, à l’encontre de son lectorat, ou de l’histoire ? S’ils ont trompé l’opinion publique en divulguant des informations erronées, ou de fausses conclusions, si même ils ont contribué à ce que des fautes soient commises au plus haut degré de l’Etat, avons-nous le souvenir d’un seul cas, où le dit journaliste ou le dit journal ait exprimé quelque regret ? Non, bien sûr, cela porterait préjudice aux ventes. De telles erreurs peut bien découler le pire pour une nation, le journaliste s’en tirera toujours. Etant donné que l’on a besoin d’une information crédible et immédiate, il devient obligatoire d’avoir recours aux conjectures, aux rumeurs, aux suppositions pour remplir les trous, et rien de tout cela ne sera jamais réfuté ; ces mensonges s’installent dans la mémoire du lecteur. Combien de jugements hâtifs, irréfléchis, superficiels et trompeurs sont ainsi émis quotidiennement, jetant le trouble chez le lecteur, et le laissant ensuite à lui-même ? La presse peut jouer le rôle d’opinion publique, ou la tromper. De la sorte, on verra des terroristes peints sous les traits de héros, des secrets d’Etat touchant à la sécurité du pays divulgués sur la place publique, ou encore des intrusions sans vergogne dans l’intimité de personnes connues, en vertu du slogan : « tout le monde a le droit de tout savoir ». Mais c’est un slogan faux, fruit d’une époque fausse ; d’une bien plus grande valeur est ce droit confisqué, le droit des hommes de ne pas savoir, de ne pas voir leur âme divine étouffée sous les ragots, les stupidités, les paroles vaines. Une personne qui mène une vie pleine de travail et de sens n’a absolument pas besoin de ce flot pesant et incessant d’information. (…) Autre chose ne manquera pas de surprendre un observateur venu de l’Est totalitaire, avec sa presse rigoureusement univoque : on découvre un courant général d’idées privilégiées au sein de la presse occidentale dans son ensemble, une sorte d’esprit du temps, fait de critères de jugement reconnus par tous, d’intérêts communs, la somme de tout cela donnant le sentiment non d’une compétition mais d’une uniformité. Il existe peut-être une liberté sans limite pour la presse, mais certainement pas pour le lecteur : les journaux ne font que transmettre avec énergie et emphase toutes ces opinions qui ne vont pas trop ouvertement contredire ce courant dominant.

Sans qu’il y ait besoin de censure, les courants de pensée, d’idées à la mode sont séparés avec soin de ceux qui ne le sont pas, et ces derniers, sans être à proprement parler interdits, n’ont que peu de chances de percer au milieu des autres ouvrages et périodiques, ou d’être relayés dans le supérieur. Vos étudiants sont libres au sens légal du terme, mais ils sont prisonniers des idoles portées aux nues par l’engouement à la mode. Sans qu’il y ait, comme à l’Est, de violence ouverte, cette sélection opérée par la mode, ce besoin de tout conformer à des modèles standards, empêchent les penseurs les plus originaux d’apporter leur contribution à la vie publique et provoquent l’apparition d’un dangereux esprit grégaire qui fait obstacle à un développement digne de ce nom. Aux Etats-Unis, il m’est arrivé de recevoir des lettres de personnes éminemment intelligentes – peut-être un professeur d’un petit collège perdu, qui aurait pu beaucoup pour le renouveau et le salut de son pays, mais le pays ne pouvait l’entendre, car les média n’allaient pas lui donner la parole. Voilà qui donne naissance à de solides préjugés de masse, à un aveuglement qui à notre époque est particulièrement dangereux.

Il est universellement admis que l’Ouest montre la voie au monde entier vers le développement économique réussi, même si dans les dernières années il a pu être sérieusement entamé par une inflation chaotique. Et pourtant, beaucoup d’hommes à l’Ouest ne sont pas satisfaits de la société dans laquelle ils vivent. Ils la méprisent, ou l’accusent de plus être au niveau de maturité requis par l’humanité. Et beaucoup sont amenés à glisser vers le socialisme, ce qui est une tentation fausse et dangereuse. J’espère que personne ici présent ne me suspectera de vouloir exprimer une critique du système occidental dans l’idée de suggérer le socialisme comme alternative. Non, pour avoir connu un pays où le socialisme a été mis en œuvre, je ne prononcerai pas en faveur d’une telle alternative. (…) Mais si l’on me demandait si, en retour, je pourrais proposer l’Ouest, en son état actuel, comme modèle pour mon pays, il me faudrait en toute honnêteté répondre par la négative. Non, je ne prendrais pas votre société comme modèle pour la transformation de la mienne. On ne peut nier que les personnalités s’affaiblissent à l’Ouest, tandis qu’à l’Est elles ne cessent de devenir plus fermes et plus fortes. Bien sûr, une société ne peut rester dans des abîmes d’anarchie, comme c’est le cas dans mon pays. Mais il est tout aussi avilissant pour elle de rester dans un état affadi et sans âme de légalisme, comme c’est le cas de la vôtre. Après avoir souffert pendant des décennies de violence et d’oppression, l’âme humaine aspire à des choses plus élevées, plus brûlantes, plus pures que celles offertes aujourd’hui par les habitudes d’une société massifiée, forgées par l’invasion révoltante de publicités commerciales, par l’abrutissement télévisuel, et par une musique intolérable.
Tout cela est sensible pour de nombreux observateurs partout sur la planète. Le mode de vie occidental apparaît de moins en moins comme le modèle directeur. Il est des symptômes révélateurs par lesquels l’histoire lance des avertissements à une société menacée ou en péril. De tels avertissements sont, en l’occurrence, le déclin des arts, ou le manque de grands hommes d’Etat. Et il arrive parfois que les signes soient particulièrement concrets et explicites. Le centre de votre démocratie et de votre culture est-il privé de courant pendant quelques heures, et voilà que soudainement des foules de citoyens Américains se livrent au pillage et au grabuge. C’est que le vernis doit être bien fin, et le système social bien instable et mal en point.

Mais le combat pour notre planète, physique et spirituel, un combat aux proportions cosmiques, n’est pas pour un futur lointain ; il a déjà commencé. Les forces du Mal ont commencé leur offensive décisive. Vous sentez déjà la pression qu’elles exercent, et pourtant, vos écrans et vos écrits sont pleins de sourires sur commande et de verres levés. Pourquoi toute cette joie ?

Comment l’Ouest a-t-il pu décliner, de son pas triomphal à sa débilité présente ? A-t-il connu dans son évolution des points de non-retour qui lui furent fatals, a-t-il perdu son chemin ? Il ne semble pas que cela soit le cas. L’Ouest a continué à avancer d’un pas ferme en adéquation avec ses intentions proclamées pour la société, main dans la main avec un progrès technologique étourdissant. Et tout soudain il s’est trouvé dans son état présent de faiblesse. Cela signifie que l’erreur doit être à la racine, à la fondation de la pensée moderne. Je parle de la vision du monde qui a prévalu en Occident à l’époque moderne. Je parle de la vision du monde qui a prévalu en Occident, née à la Renaissance, et dont les développements politiques se sont manifestés à partir des Lumières. Elle est devenue la base da la doctrine sociale et politique et pourrait être appelée l’humanisme rationaliste, ou l’autonomie humaniste : l’autonomie proclamée et pratiquée de l’homme à l’encontre de toute force supérieure à lui. On peut parler aussi d’anthropocentrisme : l’homme est vu au centre de tout.

Historiquement, il est probable que l’inflexion qui s’est produite à la Renaissance était inévitable. Le Moyen Age en était venu naturellement à l’épuisement, en raison d’une répression intolérable de la nature charnelle de l’homme en faveur de sa nature spirituelle. Mais en s’écartant de l’esprit, l’homme s’empara de tout ce qui est matériel, avec excès et sans mesure. La pensée humaniste, qui s’est proclamée notre guide, n’admettait pas l’existence d’un mal intrinsèque en l’homme, et ne voyait pas de tâche plus noble que d’atteindre le bonheur sur terre. Voilà qui engagea la civilisation occidentale moderne naissante sur la pente dangereuse de l’adoration de l’homme et de ses besoins matériels.Tout ce qui se trouvait au-delà du bien-être physique et de l’accumulation de biens matériels, tous les autres besoins humains, caractéristiques d’une nature subtile et élevée, furent rejetés hors du champ d’intérêt de l’Etat et du système social, comme si la vie n’avait pas un sens plus élevé. De la sorte, des failles furent laissées ouvertes pour que s’y engouffre le mal, et son haleine putride souffle librement aujourd’hui. Plus de liberté en soi ne résout pas le moins du monde l’intégralité des problèmes humains, et même en ajoute un certain nombre de nouveaux.
Et pourtant, dans les jeunes démocraties, comme la démocratie américaine naissante, tous les droits de l’homme individuels reposaient sur la croyance que l’homme est une créature de Dieu. C’est-à-dire que la liberté était accordée à l’individu de manière conditionnelle, soumise constamment à sa responsabilité religieuse. Tel fut l’héritage du siècle passé.

Toutes les limitations de cette sorte s’émoussèrent en Occident, une émancipation complète survint, malgré l’héritage moral de siècles chrétiens, avec leurs prodiges de miséricorde et de sacrifice. Les Etats devinrent sans cesses plus matérialistes. L’Occident a défendu avec succès, et même surabondamment, les droits de l’homme, mais l’homme a vu complètement s’étioler la conscience de sa responsabilité devant Dieu et la société. Durant ces dernières décennies, cet égoïsme juridique de la philosophie occidentale a été définitivement réalisé, et le monde se retrouve dans une cruelle crise spirituelle et dans une impasse politique. Et tous les succès techniques, y compris la conquête de l’espace, du Progrès tant célébré n’ont pas réussi à racheter la misère morale dans laquelle est tombé le XXème siècle, que personne n’aurait pu encore soupçonner au XIXème siècle.

L’humanisme dans ses développements devenant toujours plus matérialiste, il permit avec une incroyable efficacité à ses concepts d’être utilisés d’abord par le socialisme, puis par le communisme, de telle sorte que Karl Marx pût dire, en 1844, que « le communisme est un humanisme naturalisé. » Il s’est avéré que ce jugement était loin d’être faux. On voit les mêmes pierres aux fondations d’un humanisme altéré et de tout type de socialisme : un matérialisme sans frein, une libération à l’égard de la religion et de la responsabilité religieuse, une concentration des esprits sur les structures sociales avec une approche prétendument scientifique. Ce n’est pas un hasard si toutes les promesses rhétoriques du communisme sont centrées sur l’Homme, avec un grand H, et son bonheur terrestre. A première vue, il s’agit d’un rapprochement honteux : comment, il y aurait des points communs entre la pensée de l’Ouest et de l’Est aujourd’hui ? Là est la logique du développement matérialiste. (…)

Je ne pense pas au cas d’une catastrophe amenée par une guerre mondiale, et aux changements qui pourraient en résulter pour la société. Aussi longtemps que nous nous réveillerons chaque matin, sous un soleil paisible, notre vie sera inévitablement tissée de banalités quotidiennes. Mais il est une catastrophe qui pour beaucoup est déjà présente pour nous. Je veux parler du désastre d’une conscience humaniste parfaitement autonome et irréligieuse.

Elle a fait de l’homme la mesure de toutes choses sur terre, l’homme imparfait, qui n’est jamais dénué d’orgueil, d’égoïsme, d’envie, de vanité, et tant d’autres défauts. Nous payons aujourd’hui les erreurs qui n’étaient pas apparues comme telles au début de notre voyage. Sur la route qui nous a amenés de la Renaissance à nos jours, notre expérience s’est enrichie, mais nous avons perdu l’idée d’une entité supérieure qui autrefois réfrénait nos passions et notre irresponsabilité.

Nous avions placé trop d’espoirs dans les transformations politico-sociales, et il se révèle qu’on nous enlève ce que nous avons de plus précieux : notre vie intérieure. A l’Est, c’est la foire du Parti qui la foule aux pieds, à l’Ouest la foire du Commerce : ce qui est effrayant, ce n’est même pas le fait du monde éclaté, c’est que les principaux morceaux en soient atteints d’une maladie analogue. Si l’homme, comme le déclare l’humanisme, n’était né que pour le bonheur, il ne serait pas né non plus pour la mort. Mais corporellement voué à la mort, sa tâche sur cette terre n’en devient que plus spirituelle : non pas un gorgement de quotidienneté, non pas la recherche des meilleurs moyens d’acquisition, puis de joyeuse dépense des biens matériels, mais l’accomplissement d’un dur et permanent devoir, en sorte que tout le chemin de notre vie devienne l’expérience d’une élévation avant tout spirituelle : quitter cette vie en créatures plus hautes que nous n’y étions entrés.

Il est impératif que nous revoyions à la hausse l’échelle de nos valeurs humaines. Sa pauvreté actuelle est effarante. Il n’est pas possible que l’aune qui sert à mesurer de l’efficacité d’un président se limite à la question de combien d’argent l’on peut gagner, ou de la pertinence de la construction d’un gazoduc. Ce n’est que par un mouvement volontaire de modération de nos passions, sereine et acceptée par nous, que l’humanité peut s’élever au-dessus du courant de matérialisme qui emprisonne le monde.
Quand bien même nous serait épargné d’être détruits par la guerre, notre vie doit changer si elle ne veut pas périr par sa propre faute. Nous ne pouvons nous dispenser de rappeler ce qu’est fondamentalement la vie, la société. Est-ce vrai que l’homme est au-dessus de tout ? N’y a-t-il aucun esprit supérieur au-dessus de lui ? Les activités humaines et sociales peuvent-elles légitimement être réglées par la seule expansion matérielle ? A-t-on le droit de promouvoir cette expansion au détriment de l’intégrité de notre vie spirituelle ?

Si le monde ne touche pas à sa fin, il a atteint une étape décisive dans son histoire, semblable en importance au tournant qui a conduit du Moyen-âge à la Renaissance. Cela va requérir de nous un embrasement spirituel. Il nous faudra nous hisser à une nouvelle hauteur de vue, à une nouvelle conception de la vie, où notre nature physique ne sera pas maudite, comme elle a pu l’être au Moyen-âge, mais, ce qui est bien plus important, où notre être spirituel ne sera pas non plus piétiné, comme il le fut à l’ère moderne.

Notre ascension nous mène à une nouvelle étape anthropologique. Nous n’avons pas d’autre choix que de monter – toujours plus haut."




Alexandre Soljénitsyne, Le Déclin du courage, Harvard, 8 juin 1978


 

George Sand (A Aurore)

William Trost Richards 



À Aurore






La nature est tout ce qu’on voit,

Tout ce qu’on veut, tout ce qu’on aime.

Tout ce qu’on sait, tout ce qu’on croit,

Tout ce que l’on sent en soi-même.

Elle est belle pour qui la voit,

Elle est bonne à celui qui l’aime,

Elle est juste quand on y croit

Et qu’on la respecte en soi-même.

Regarde le ciel, il te voit,

Embrasse la terre, elle t’aime.

La vérité c’est ce qu’on croit

En la nature c’est toi-même.




George Sand







 

vendredi 1 janvier 2021

Petit film de fin d'année... #cultureendanger

Pour voir la vidéo cliquez sur le lien : 

Odyssey interdit pour violence, sexisme - Est-ce la fin du monde classique ?

 SOURCE de l'article - TEXTE ORIGINAL  : Odyssey Banned for Violence, Sexism; Is this the End of World Classics? (greekreporter.com)

Article en anglais : traduction automatique


Odyssey, le classique d’Homère de la littérature mondiale écrite à l’époque de la Grèce antique, a récemment été interdit à Lawrence, Massachusetts pour dépeindre des idées qui ne sont pas conformes aux normes modernes de comportement.

Cette décision, rapportée récemment par le Wall Street Journal,semble provenir d’un mouvement de « justice sociale », créé par des utilisateurs de Twitter, appelé #DisruptTexts. Ses partisans croient que toute littérature mondiale qui ne dépeint pas les normes qu’ils détiennent aujourd’hui en termes de rôles de genre, de violence et d’égalité raciale doit être interdite dans l’intérêt de façonner une nouvelle génération qui ne sera pas autorisée à entrer en contact avec des concepts qu’ils considèrent répugnants — ou même tout simplement dépassés.

Pénélope, assise à son métier à tisser patiemment pendant vingt ans tandis qu’Ulysse mari part combattre dans la guerre de Troie, n’est pas le modèle de comportement féminin que les enseignants qui épousent ce nouveau type de livre interdisant veulent que leurs élèves émulent.

Mais non seulement ils ne veulent pas que leurs élèves imitent ces comportements - ils veulent interdire les livres qui contiennent qu’ils veulent interdire les livres qui dépeignent la violence, les rôles traditionnels de genre et le racisme, en s’assurant que les générations futures ne seront jamais apprendre sur les nombreuses aventures d’Ulysse et ses compagnons comme ils ont fait leur chemin à travers la mer, se sont battus contre Troie et wended leur chemin du retour à la maison après vingt ans d’absence.


Des livres comme celui-ci, qui fournissent un trésor de références historiques et forment la base de la compréhension des peuples instruits du monde classique, contiennent naturellement des images violentes de la bataille et des conflits et dépeignent le milieu social de l’époque.

Jusqu’à récemment, cependant, les enseignants se concentraient sur l’énorme mérite littéraire et historique du monde d’Homer et d’autres écrivains anciens, laissant leurs élèves à venir à leurs propres conclusions quant à savoir si oui ou non ils aimeraient faire la guerre ou alternativement s’asseoir à la maison tissage tandis que le mari est absent au combat.

L’Odyssée est « trash »

Shea Martin, qui est décrit par le site appelé LoveliteraTea comme un « queer, enseignant noir, chercheur, et organisateur qui rêve et travaille à la libération avec les enseignants et les étudiants à travers le pays, » Tweeted « être comme Ulysse et embrasser le long terme à la libération (et puis prendre l’Odyssée de votre programme d’études parce que c’est trash) » en Juin de cette année.

— Hahaha, répondit Heather Levine, professeur d’anglais à la Lawrence High School dans le Massachusetts. « Très fière de dire que nous avons retiré l’Odyssey du programme d’études cette année! », a-t-elle ajouté triomphalement.

Levine n’a eu aucun commentaire quand Gurdon l’a contactée au sujet de son histoire de WSJ, disant Gurdon que même poser des questions au sujet de la question était « envahissant. » Richard Gorham, président du département anglais des écoles publiques Lawrence, n’a pas non plus fait de commentaire, qui n’a pas répondu aux courriels.

Pendule bascule vers la rectitude politique

Mais la ruée politiquement correcte vers le jugement, qui a commencé ces dernières années avec l’interdiction des classiques américains tels que Tom Sawyer, Les Aventures de Huckleberry Finn, et des œuvres encore plus récentes telles que How to Kill a Mockingbird - pour l’utilisation du mot n - est revenue à mordre la société maintenant que les vannes ont été ouvertes.

À l’origine, le pendule oscait dans l’autre sens, et ce sont les Américains conservateurs qui étaient à l’origine coupables d’interdire les livres — malgré la liberté d’expression et d’expression explicitement inscrite dans la Constitution. Le premier livre à être officiellement interdit en Amérique fut « New English Canaan » de Thomas Morton, publié en 1637. Œuvre massive en trois volumes, elle contenait non seulement les observations perspicaces de Morton sur les Amérindiens, mais aussi — soulevant l’ire de ceux qui s’étaient installés à Plymouth et à la Massachusetts Bay Company — une satire mordante des Puritains.

Au fil des siècles, ce ne sont pas seulement les positions politiques qui ont suscité l’ire des bannières de livres, ce sont plus souvent les représentations du sexe qui ont attiré l’attention des censeurs et fait l’objet d’un examen minutieux des œuvres littéraires.

Et la liste des livres interdits en Amérique est

honteusement longue, y compris Peyton Place, The Great Gatsby, The Catcher in the Rye, The Grapes of Wrath, To Kill a Mockingbird, The Color Purple, James Joyce’s Ulysses, Beloved, et The Lord of the Flies.

L’élimination des mots haineux conduit à l’élimination de l’histoire

L’interdiction de classiques tels que les chefs-d’œuvre de Twain pour inclure le mot n peut avoir en effet empêché certains jeunes enfants d’aujourd’hui d’être exposés à ce mot extrêmement désobligeant dans la littérature. Mais il a également entraîné un appauvrissement de leur monde, selon Meghan Cox Gurdon, qui a écrit une histoire dans la section Opinion du Wall Street Journal récemment.

Le développement suscite toute une série de questions chez ceux qui se soucient de l’histoire humaine. Sommes-nous devenus si fragiles en tant que société que nous ne pouvons tolérer la représentation de différentes normes de comportement qui ont fait partie de la vie humaine pendant des millénaires? Quelle partie de notre patrimoine culturel doit être jetée dans la benne parce que cette littérature fait référence à des gens qui utilisent des mots que nous n’utilisons plus?

Pouvons-nous nous permettre, en tant que société, de rejeter avec arrogance les classiques mondiaux comme l’Odyssée comme des « trash » parce qu’ils dépeignent la guerre et les rôles traditionnels de genre — qui ont été la norme sur la terre pendant des milliers d’années?

Devons-nous être privés de l’une des premières œuvres littéraires au monde parce que tout ce qui y a été décrit ne reflète pas notre monde d’aujourd’hui? Ces instances ne devraient-elles pas réellement être l’occasion d’un moment d’enseignement ?

Demander l’avis des élèves « nuisible »

Dans son article d’opinion, Gurdon cite un article de la romancière pour jeunes adultes Padma Venkatraman qui a été publié dans le School Library Journal, dans lequel elle a déclaré que « défier les vieux classiques est l’équivalent littéraire du remplacement des statues de figures racistes ».

Le concept selon lequel les enfants ne devraient pas être exposés à des œuvres littéraires « dans lesquelles le racisme, le sexisme, le ableisme, l’antisémitisme et d’autres formes de haine sont la norme » est adopté par la romancière pour jeunes adultes Padma Venkatraman. Elle a écrit dans le périodique School Library Journal qu’aucun auteur ne doit être épargné dans cette tentative de broussailles de l’histoire littéraire.

« Absoudre Shakespeare de ses responsabilités en mentionnant qu’il vivait à une époque où les sentiments haineux prévalaient, risque d’envoyer un message subliminal selon qui l’excellence académique l’emporte sur la rhétorique haineuse.

« Le racisme dans les classiques ne peut pas être nié simplement en alertant les jeunes lecteurs sur sa présence », a-t-elle averti. « À moins d’avoir le temps, l’énergie, l’attention, l’expertise et la capacité de favoriser des conversations nuancées dans lesquelles même les lecteurs les plus timides se sentent habilités à s’engager s’ils le souhaitent, nous pouvons blesser, pas aider. Faire pression sur les lecteurs de couleur pour qu’ils s’exprimer supprime également le libre choix et peut être nuisible.

Les élèves souffriront de la pauvreté de la langue et de la culture

Certains auteurs n’ont tout simplement pas cette nouvelle forme de discrimination et d’exclusion. L’écrivain de science-fiction Jon Del Arroz a déclaré au Wall Street Journal : « C’est une tragédie que ce mouvement anti-intellectuel visant à interdire les classiques gagne du terrain parmi les éducateurs et l’industrie de l’édition.

« Effacer l’histoire des grandes œuvres ne fait que limiter la capacité des enfants à devenir alphabétisés. »

Evin Shinn, professeur d’anglais à Seattle, a tweeté en 2018 qu’il préférerait « mourir » plutôt que d’enseigner le roman classique américain « The Scarlet Letter », à moins que — comme il l’a déclaré — l’œuvre ne soit utilisée pour « lutter contre la misogynie et l’humiliation des ».

Cependant, l’enseignant semble avoir perdu l’intrigue du livre, qui est en effet fustige les pasteurs bornés de l’époque dans la Nouvelle-Angleterre coloniale. Auteur Jessica Cluess a répondu à Shinn, en disant: « Si vous pensez Hawthorne était du côté des puritains jugement ... alors vous êtes un idiot absolu et ne devrait pas avoir le titre d’éducateur dans votre bio Twitter.

« Autodénonciation rituelle »

Mais c’est Cluess qui a été dans l’humiliation, comme Twitterers accusé l’auteur de racisme, même, fantastiquement, de « violence », exigeant que son éditeur, Penguin Random House annuler son contrat.

Elle a toujours son contrat avec eux - mais peut-être seulement parce qu’elle a publié des excuses abjectes pour sa déclaration, en ce que Gurdon a dit était comme un style soviétique « auto-dénonciation rituelle » devant les autorités communistes. « J’assume l’entière responsabilité de ma colère non provoquée... Je m’efforcerai de faire mieux.

Cependant, même son agent littéraire, Brooks Sherman, a dénoncé ce qu’il a appelé les opinions « racistes et inacceptables » de Cluess avant de mettre fin à leur relation professionnelle.

Les exigences politiquement correctes en matière de censure semblent croître plutôt que de s’arrêter. L’écrivain Del Arroz, qui a été l’un des rares autres auteurs à défendre Cluess, a noté : « La suppression de l’histoire des grands projets ne fait que limiter la capacité des enfants à être correctement éduqués.

« S’il y a quelque chose qui ne va pas dans la littérature classique, elle découle de son non-enseignement. Les étudiants qui n’ont pas le droit de lire des textes fondamentaux peuvent s’imaginer chanceux... c’est ce que veulent les gens qui appuient la campagne #DisruptTexts — mais par rapport à leurs pairs mieux éduqués, ils souffriront de la pauvreté linguistique et d’une pénurie de références culturelles.

« Le pire de tous, ils ne le savent même pas, at-il conclu.


Ulysse et Circé par Annibale Carracci, vers 1590. Palais farnèse. Crédit: Wikimedia Commons



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