jeudi 26 mars 2020

Beethoven Violin Concerto in D major Op.61, Christian FERRAS

George Sand (Consuelo - extrait)














Conquérants et souverains, c'est en vain que vous employez vos trésors à bâtir des temples : vous n'en êtes pas moins des impies, quand une seule pièce de cet or est le prix du sang et de la souffrance. C'est en vain que vous soumettez des races entières par l'éclat de vos armes : les hommes les plus aveuglés par le prestige de la gloire vous reprocheront un seul homme, un seul brin d'herbe froidement brisé. La muse de l'histoire, encore aveugle et incertaine, accorde presque qu'il est dans le passé de grands crimes nécessaires et justiciables ; mais la conscience inviolable de l'humanité proteste contre sa propre erreur, en réprouvant du moins les crimes inutiles au succès des grandes causes.




George Sand (Consuelo)

mardi 24 mars 2020

W. A. Mozart: Oboe Quartet KV 370

Alerte citoyens (Georges Chelon)


Les fleurs animées ( Alphonse Karr)








Les fleurs animées

Introduction




Il y a plusieurs manières d'aimer les fleurs.

Les savants les aplatissent, les dessèchent et les enterrent dans des cimetières nommés herbiers, puis ils mettent au-dessous de prétentieuses épitaphes en langage barbare.

Les amateurs -n'aiment que les fleurs rares, et les aiment, non pas pour les voir et les respirer, mais pour les montrer ; leurs jouissances consistent beaucoup moins à avoir certaines fleurs qu'à savoir que d'autres ne les ont pas. Aussi ne font-ils aucun cas de toutes des riches et heureuses fleurs que la bonté de  Dieu a faites communes, comme il a fait communs de ciel et la soleil.

Quand, par un beau jour de février, vous découvrez au pied d'un buisson la première primevère en fleur, vous êtes saisi d'une douce joie, c'est le premier sourire du printemps.

Vous rêvez d'ombrages et de chants d'oiseaux.

Vous rêvez de calme, d'innocence et d'amour.

Mais c'est que vous n'êtes pas un véritable amateur.

Si vous étiez amateur, vous ne vous laisseriez pas prendre ainsi à l'improviste par ces impressions poétiques, vous regarderiez bien vite si, dans le cœur de la primevère, les étamines dépassent le pistil. Si, au contraire, c'est le pistil qui dépasse les étamines, le véritable amateur ne peut ressentir aucun plaisir d'une fleur aussi incorrecte ; c'est pour lui moins que les cailloux du chemin ; et, si cette fleur se permettait de s'épanouir dans son jardin, il l'arracherait et la foulerait aux pieds.

Pour les savants, il n'y a de rose que la rose simple : rosa canina.

La rose double, la rose à cent feuilles, la rose mousseuse, qui ont changé leurs étamines en pétales, sont des monstres : absolument comme les savants qui d'hommes, peut-être simples et bons, sont aussi devenus doubles et triples par la science.

L'amateur n'admet plus la rose à cent feuilles ni la rose mousseuse dans ses collections ; elles sont communes ; ce ne sont plus des fleurs, ce sont des bouquets. L'amateur vous dit froidement : Voyez ce gain ! Ce rosier, c'est moi qui l'ai obtenu de grains, il y a cinq ans. Il n'a jamais voulu fleurir.

Mes amis ont tout fait pour avoir une greffe de ce précieux sujet ; mais j'ai tenu bon, j'en resterai seul possesseur.

Mais il est d'autres gens plus heureux, qui aiment toutes les fleurs qui leur font l'honneur de fleurir dans leur petit jardin, ceux-ci doivent aux fleurs les plus pures et les plus certaines jouissances. Mais encore il faut les diviser en deux classes : les uns aiment dans les fleurs certains souvenirs, qui se sont cachés dans leur corolle comme les hamadryades sous l'écorce des chênes.

Ils se rappellent que les lilas étaient en fleur la première fois qu'ils l'ont rencontrée.

C'est sous une tonnelle de chèvrefeuille, qu'assis ensemble, à la fin du jour, ils ont échangé ces doux serments qu'un seul, hélas ! A gardés.

En voulant cueillir pour elle une branche d'aubépine, il s'est déchiré la main, et elle a mis sur sa blessure un morceau de taffetas d'Angleterre, après l'avoir passé à plusieurs reprises sur ses lèvres roses.

Une autre fois, ils avaient ensemble cueilli des wergissmein-nicht sur le bord de l'étang. Il y avait des giroflées jaunes sur les vieilles murailles de l'église de campagne où ils se rencontraient tous les dimanches.

Ainsi, chaque printemps, ces souvenirs renaissent et s'épanouissent comme les fleurs.

Mais il vient un moment où l'on appelle tous ces jeunes et vrais sentiments des illusions, un moment où l'on croit devenir sage parce qu'on commence à devenir mort.

On est alors tout simplement en proie à d'autres illusions.

Le côté de la lorgnette qui rapetisse les objets n'est pas plus vrai que le côté qui les grossit.

Alors on aime les fleurs, mais seulement pour elles-mêmes.

On les aime pour leur éclat, pour leur parfum et aussi pour les soins qu'elles vous coûtent.

On découvre alors que toutes les richesses des riches ne sont qu'une imitation plus ou moins imparfaite des richesses des pauvres.

On voit que les diamants, qui coûtent parfois tant de honte et dont on est si fier, voudraient bien ressembler tout à fait aux gouttes de rosée du soleil levant.

On voit que les fleurs sont des pierreries vivantes et parfumées.

On voit qu'un tableau qui représente à peu près ces trois arbres et cette pelouse, et payé cent fois la valeur de la pelouse et des trois arbres eux-mêmes. Eh bien, on va essayer d'imiter cela en marbre ou en bois, puis, si l'artiste arrive à réussir si bien qu'on voie tout de suite ce qu'il a voulu faire, il faudra abattre deux kilomètres de ses vieux hêtres pour payer l'imitation qu'il a faite d'un seul.

C'est alors que l'on comprend que Dieu aime les pauvres, et que, comme les petits enfants, il les laisse s'approcher de lui.

Alors aussi, retiré, blessé des luttes de la vie, on se rappelle tout ce que l'on a aimé, tout ce qui vous a trompé, toutes les fleurs charmantes qui ont porté des fruits tristes et vénéneux, toutes ces promesses devenues trahisons, toutes ces espérances déçues.

Et quand on est enfermé entre les murs de son jardin, seul avec ses fleurs aimées, on pense qu'on n'a rien à redouter de semblable en cette dernière affection.

Et quand ces chères fleurs effeuillent leur corolle sous les ardentes caresses du soleil, vous savez en quel mois et à quel jour de l'année suivante elles reviendront à la même place du jardin s'épanouir de nouveau, riantes, jeunes, belles et parfumées.

Heureux ceux qui aiment les fleurs ! Heureux ceux qui n'aiment que les fleurs !





Alphonse Karr