dimanche 20 juin 2021

Tendez l'oreille ! Dans un document de 1619, le système solaire tient sur une portée

 SOURCE DE L'ARTICLE France Musique : Tendez l'oreille ! Dans un document de 1619, le système solaire tient sur une portée (francemusique.fr)

Par Christophe Dilys


1619. Johannes Kepler publie son "Harmonices Mundi" et utilise la notation musicale pour représenter au mieux les distances proportionnelles des planètes du système solaire par rapport au soleil. La forme de ces gammes représente la forme des orbites des planètes, de façon... rigoureusement exacte !

Tendez l'oreille ! Dans un document de 1619, le système solaire tient sur une portée
La forme elliptique des orbites de Saturne, Jupiter, Mars, Terre, Vénus, Mercure et la Lune sous forme de musique

La musique des sphères

  • Extrait 1. "Vénus", tiré des Planètes de Gustav Holst

"Nous sommes le 19 juin 2021 : nous apprenions il y a exactement 4 ans, en 2017, l’existence de nouvelles planètes potentiellement habitables. La NASA nous informait que le télescope spatial Kepler avait découvert 219 nouvelles exoplanètes, dont 10 d’entre elles d’une taille proche de celle de la Terre, avec la capacité à contenir de l’eau, et donc de la vie. Et c’est donc de la musique des sphères dont je voudrais vous parler aujourd’hui. D’habitude lorsque nous associons “cosmos” et “musique”, on pense à ce que nous écoutons-là, on pense aux Planètes de Gustav Holst, ou aux cuivres éclatants des premières mesures d’Ainsi Parlait Zarathoustra sur les premières images de 2001 Odyssée de l’Espace

Aujourd’hui, pourtant, avant de partir avec vous très loin dans l’immensité du cosmos, je voudrais faire un voyage très loin … dans le temps. 

Tout commence avec Pythagore : il découvre les relations "mesurables" entre les sons

Nous sommes au VIe siècle avant Jésus-Christ, à Samos, île grecque dans la Mer Egée. A cette époque, les savants observent le monde autour d’eux pour tenter de deviner les intentions divines, pour trouver un ordre, un système numérique qui puisse englober le monde entier. L’idée est de trouver des chiffres et des nombres qui puissent expliquer l’univers, qui puissent expliquer à la fois les formes compliquées des feuilles de vignes et les constellations sur la voûte étoilée. 

A Samos, on y trouve Pythagore qui se pose la question suivante : on mesure l’espace, on mesure le temps… mais comment mesurer le son ? Pour mesurer quelque chose, il faut au moins deux points. Parce qu’une note toute seule, ce n'est pas grand chose. Et donc : comment mesurer la distance entre deux notes ? C’est quand il y a plusieurs notes que ça devient intéressant. Je vais vous montrer comment il a fait : je prends une corde. Si je la tends et que je la pince, elle produit une note sur toute sa longueur.

La gamme de Pythagore
La gamme de Pythagore
  • Christophe Dilys avec le monocorde de Pythagore : une corde seule

Maintenant, ce qui est intéressant c’est ce que je vais faire là : je la mesure, elle fait à peu près 44 centimètres. Si je place mon doigt pile au milieu, c'est-à-dire à 22cm, voilà ce que ça donne.

  • Christophe Dilys avec le monocorde de Pythagore : corde seule, puis corde divisée en deux, on entend l'octave

Comme la corde, le son est “divisé” en deux, si je puis dire, je me retrouve avec une octave. Et maintenant, si je bloque la corde au ⅔ et que je la pince,

  • Christophe Dilys avec le monocorde de Pythagore : corde seule, puis corde divisée en deux, on entend l'octave, puis divisée au 2/3, on entend la quinte

Je me retrouve avec une quinte. Ce qui veut dire que les intervalles qui sonnent "bien", qui sonnent juste, comme les octaves, les quartes et les quintes, sont issues de proportions assez logiques, des moitiés, des ⅔ etc. Voyons maintenant à quoi ça nous sert dans le cosmos. 

Johannes Kepler utilise les proportions au sein d'une gamme pour représenter la proportion au sein du cosmos

  • Extrait 2. B.O. de The Theory of Everything

En 1619, 2200 ans plus tard, Johannes Kepler poursuit le travail de mesure de l’univers entamé par Pythagore. Il est astronome et mathématicien impérial à Prague, dans un XVIIe siècle où on commence à avoir une idée plutôt précise des corps célestes qui entourent la Terre. Johannes Kepler fait alors une découverte qui va tout changer : il reprend les mesures de la trajectoire de la planète Mars qui avaient déjà été effectuées par son collègue Tycho Brahe, et il s’aperçoit que l’orbite de la planète autour du Soleil n’est pas un cercle, mais une ellipse ! Et ça, ça change tout ! Parce que, tout à coup, on s’aperçoit que le système solaire est beaucoup plus dynamique. Cela veut dire que dans la trajectoire des planètes, il existe une extrémité (le point où la planète est la plus éloignée du soleil) et une autre extrémité (où la planète est la plus proche du soleil). Au lieu de simplement tourner autour du Soleil, les planètes s’en éloignent et s’en rapprochent, comme le doigt de Pythagore sur la corde, et là ça y est, nous l’avons, notre musique des sphères.

Dans son Harmonices Mundi de 1619, Johannes Kepler énonce sa 3e loi : le carré de la période de révolution est proportionnel au cube de la distance au soleil. (T2=R3 où l’emplacement du soleil est une constante). 

Et comment représente-t-il cette 3e loi ?

Eh bien il utilise la métaphore de la musique pour mieux nous faire comprendre comment ça marche. 

La forme des orbites des planètes sous forme de notes
La forme des orbites des planètes sous forme de notes

Extrait 3. In me transierunt irae tuae a 5 - Orlando di Lasso (par le Concerto Palatino)

Prenons l’orbite de la Terre : elle est vaguement elliptique, elle est presque circulaire autour du Soleil, ce qui fait qu’il n’y a pas beaucoup de différence entre son point le plus éloigné du soleil et son point le plus proche du soleil... Et pas beaucoup de distance, dans une gamme et toute proportion gardée, c’est un demi-ton. Si vous prenez une corde qui représente soit une gamme, soit l’orbite de la terre, la distance qu’il y a dans le demi-ton est la même qu’entre le point où la terre est la plus éloignée du soleil et le point où la terre est la plus proche du soleil. Kepler modélise ainsi tout le système solaire. 

L'orbite de Mercure, par exemple, est très elliptique, très allongée. Mercure peut être à la fois très proche du soleil et très éloigné, ce qui dans la gamme fait une octave plus une tierce. Au contraire, la trajectoire de Vénus est complètement circulaire, il n’y a donc pas de point éloigné ou proche, on a un unisson.

Musiques et mathématiques

On dit toujours que la musique et les mathématiques sont liées, et là nous en avons la preuve : grâce aux proportions, quelque chose d’aussi gigantesque qu’un système solaire peut tenir sur une portée. Et non seulement, ça peut tenir sur une portée, mais en plus, les écarts entre ces périhélie et aphélie, ces points proches ou éloignés du Soleil proposent au musicien une certaine façon de tempérer la gamme. Ces écarts entre les notes planétaires sont une solution au problème de toute façon insoluble (et profondément musical) de la distance entre chaque note. 

Evidemment, ce sont de grandes lignes que je trace en 5 minutes, mais j’espère avoir donné envie d’aller plus loin."

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