jeudi 24 juin 2021

Midi au village (Pièce N° 45 de Patrice Pertuit d 'après un texte de R.F. Sully Prudhomme)

 




Midi au village

Nul troupeau n’erre ni ne broute ; Le berger baille et s’allonge à l’écart ; La poussière dort sur la route, Le charretier sur le brancard. Le forgeron dort dans la forge ; Le maçon s’étend sur un banc ; Le boucher ronfle à pleine gorge, Les bras rouges encor de sang. La guêpe rôde au bord des jattes ; Les ramiers couvrent les pignons ; Et, la gueule entre les deux pattes, Le dogue a des rêves grognons. Les lavandières babillardes Se taisent à l'ombre à l'abri du lavoir En plein azur, sèchent les hardes D’une blancheur blessante à voir. La férule à peine surveille Les écoliers inattentifs ; Le murmure épars d’une abeille Se mêle aux alphabets plaintifs… Un vent chaud traîne ses écharpes Sur les grands blés lourds de sommeil, Et les mouches se font des harpes Avec des rayons de soleil. Immobiles devant les portes Assises sur la pierre des seuils étroits, Les aïeules semblent des mortes Avec leurs quenouilles aux doigts. C’est alors que de la fenêtre S’entendent bien que se parlant très bas, Plus libres qu’à minuit peut-être, Les amants, qui ne dorment pas. Les amants qui ne dorment pas.
Midi sonne au clocher du village.


René-François Sully Prudhomme






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