mercredi 14 octobre 2020

Alphonse de Lamartine - Cours familier de Littérature (extraits)

 







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L'existence était un poème pour moi ; l'univers en notes diverses ne chantait ou ne gémissait qu'un hymne, je ne vivais qu'un livre à la main.

L'âge en avançant changea la note, mais non l'instrument. Les révolutions de 1814 et de 1815, auxquelles j'assistai, la guerre, la diplomatie, la politique, auxquelles je me consacrai, m'apparurent comme les passions de l'adolescence m'étaient apparues, par leur côté littéraire à tout. J'aurai voulu que la vie publique mêlât le talent littéraire à tout ; rien ne me paraissait réellement beau, dans les champs de bataille, dans les vicissitudes des empires, dans les congrès des cours, dans les discussions des tribunes, que ce qui méritait d'être ou magnifiquement dit, ou magnifiquement raconté par le génie des littérateurs.

L'histoire elle-même me semblait mesquine et triviale quand elle ne racontait pas les événements humains avec l'accent surhumain de la philosophie, de la tragédie ou de la religion. L'histoire n'était selon moi que la poésie des faits, le poème épique de la vérité.

L'éloquence de même. Dire ne suffisait pas, selon moi ; il fallait bien dire, et le talent faisait partie de la vérité. Je ne m'en dédie pas ; il y a dans les affaires humaines, en apparence des plus communes, un aspect intellectuel et oratoire vers lequel les esprits les plus positifs doivent toujours tendre  à leur insu ou sciemment pour signifier leur oeuvre ; ce qui ne peut pas être littérairement bien dit ne mérite pas d'être fait.

C'est là la littérature des événements, aussi réelle et aussi nécessaire à la grandeur des nations que celle de la parole. Lisez les annales des peuples ; vous vous convaincrez d'un coup d'oeil que, tant qu'ils n'ont pas été littéraires, ils n'ont pas été, et que leur mémoire commence avec leur littérature. Elle finit aussi avec elle : dès qu'un peuple ne sait plus ni chanter, ni parler, il n'existe plus.
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La littérature n'est pas moins indispensable au récit qu'à l'action des grandes choses ; le peuple lui-même le plus illettré, quand il est rassemblé et élevé au-dessus de son niveau habituel, comme l'Océan dans la tempête par une de ces grandes marées ou par une de ces fortes commotions qui soulèvent ses vagues, prend tout à coup quelque chose de subitement littéraire dans ses instincts ; il veut qu'on lui parle, non dans l'ignoble langage de la taverne ou de la borne, mais dans la langue la plus épurée, la plus imagée et la plus magnanime que les hommes des grands jours puissent trouver sur leurs lèvres.
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