mercredi 22 avril 2020

La forêt (Chateaubriand)







La Forêt






Forêt silencieuse, aimable solitude, 

Que j'aime à parcourir votre ombrage ignoré !

Dans vos sombres détours, en rêvant égaré,

J'éprouve un sentiment libre d'inquiétude ! 

Prestige de mon coeur ! je crois voir s'exhaler

Des arbres, des gazons une douce tristesse : 

Cette onde que j'entends murmure avec mollesse, 

Et dans le fond des bois semble encor m'appeler. 

Oh ! que ne puis-je, heureux, passer ma vie entière 

Ici, loin des humains !... Au bruit de ces ruisseaux, 

Sur un tapis de fleurs, dans ce lieu solitaire, 

Qu'ignoré je sommeille à l'ombre des ormeaux ! 

Tout parle, tout me plaît sous ces voûtes tranquilles ;

Ces genêts, ornements d'un sauvage réduit, 

Ce chèvrefeuille atteint d'un vent léger qui fuit, 

Balancent tour à tour leurs guirlandes mobiles.

Forêts ! agitez-vous doucement dans les airs ! 

A quel amant jamais serez-vous aussi chères ? 

D'autres vous confieront des amours étrangères ; 

Moi, de vos charmes seuls j'entretiens les déserts.




François-René de Chateaubriand





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